Les médias traditionnels sont morts
Pour Musk, les médias traditionnels sont mort (“legacy media are dead”). Les utilisateurs de X, armés des notes de communautés, sont désormais à même de faire régner la vérité. Récemment, Mark Zuckenberg, patron de META (Facebook, Instagram) lui a emboîté le pas, mettant fin brutalement à ses collaborations avec les journalistes pour la vérification des faits.
Soyons clair, les notes de communautés ne marchent pas. Non seulement elles peuvent amplifier des mensonges, mais elles peuvent devenir des armes de harcèlement massif. Sur les thèmes fortements bi-polarisés, elles sont par ailleurs systématiquement biaisées vers les groupes sociaux les plus malhonnêtes. Dans ces conditions, pourquoi rester sur X ?
C’est la question qu’a posée la députée Sandrine Rousseau, lors de la soirée publique HelloQuitteX du 9 janvier 2025 (à la 30eme minute sur notre vidéo), et on ne pouvait rêver meilleure justification de sa propostion que la réaction en chaîne qu’a suscité sa proposition sur X et dans les médias traditionnels.
Son tweet a immediatement été agrémenté d’une note de communauté indiquant "C’est la 5ème fois depuis août 2022 qu’elle quitte Twitter ", message justifié par quatre captures d’écran d’annonces de la député sur Twitter supposées appuyer l’affirmation.
Invitée le samedi 11 Janvier sur BFMTV, la présentatrice utilise une capture d’écran de son tweet et de la note de communauté associée pour remettre en cause la sincérité de sa démarche. Malaise sur le plateau …
Le reste de l’écosystème médiatique s’emballe, sur X, mais aussi sur d’autres grands médias d’information tels que France Inter (Sophia Aram) ou France 2 (Philippe Vandel, Télématin) pour discréditer la démarche de la députée jugée non crédible.
Sauf que la note de communauté était bidon : elle s’appuyait sur de fausses captures d’écran de tweets, qualifées d’artificielles à plus de 94% par des logiciels de détection de trucages. L’intéressée elle-même certifiait ne les avoir jamais postés. Aucune de ces prétendues preuves ne se retrouvent dans la base de X. Ni sous forme de tweets, ni sous forme de d’anciennes captures. Enfin, un œil exercé repère immédiatement la grossierté des montages, par exemple, la taille des polices n’est pas consistante.
Nous avons là un parfait exemple de désinformation intrinsèque à l’architecture de X. Les notes de communautés, supposées combattre la désinformation, ne sont efficaces que si les personnes qui les écrivent et les évaluent jouent le jeu et sont honnêtes.
Ces mêmes notes, c’est le cas ici, peuvent même par leur autorité et neutralités supposées se transformer en machine à blanchir les fake news et en armes de harcèlement massif.
Le suicide des médias
L’époque pourrait être un point de bascule pour le statut du journalisme. La confiance de la population dans les médias est au plus bas aux États-Unis, notamment à cause de Musk et des forces anti-démocratiques qui ne cessent de marteler que les “legacy medias” “mentent”, “sont morts” ou que les journalistes doivent être remplacés par les utilisateurs des réseaux sociaux et leurs notes de communautés. Cette tendance est en train de se propager à l’ensemble des pays, entre autres via X. Facebook a emboîté le pas en annonçant remplacer les fack-checker biaisés par les notes de communautés.
Dans ce contexte, s’appuyer sur des informations ‘vérifiée’ par les notes de communauté de X est totalement irresponsable pour des journalistes. Avec les notes de communautés, nous avons l’exemple parfait d’un poison qui se fait passer pour un remède.
Utiliser les contenus de X et son système de vérification ‘notes de communauté’ n’est pas seulement de la paresse journalistique, c’est un risque réputationnel sérieux et un suicide collectif de la profession. Rappelons que la stratégie de l’alt-right de Trump vis à vis des médias a été très précisément énoncée par son conseiller spécial Steve Bannon :
« Les Démocrates ne comptent pas. La véritable opposition, ce sont les médias. Et la façon de traiter avec eux est d’inonder la zone de merde. » Steve Bannon, 2018.
Que des journalistes et humorises des plus grandes chaînes d’info (BFM, France Inter, France 2) se mettent eux aussi à mettre un ventilateur devant ce tas de “merde” qu’est devenu X doit inquiéter plus d’un rédacteur en chef. C’est l’exacte validation du discours et de la démarche de l’alt-right. De simples mea culpa ne suffiront pas à effacer ce type d’errements qui ajoute une corde à l’arc des détracteurs du journalisme. En ligne, rien ne s’oublie, tout se ‘bookmark’ et ce genre d’episode sera utilisé longtemps pour discréditer un peu plus les ‘Legacy medias’.
Laissez les fausses informations dans leur cloaque
Ce sont les médias qui bien souvent par leurs interventions diffusent les fausses informations, raison pour laquelle il est important d’interagir le moins possible avec les réseaux sociaux toXiques.
Les fausses informations de X restent dans leur chambre d’écho tant que les médias ne s’en emparent pas. L’entre-soi des forces anti-démocratiques préserve le reste de la société de leurs tromperies. C’est ce qu’a démontré en 2018 une étude CNRS qui a analysé la diffusion sur Twitter (maintenant X) de l’ensemble des fausses informations référencées par le journal Le Monde. Le constat est sans appel : les fausses informations, plus que tout autre type d’information, diffusent localement, dans un entre-soi numérique. Elles participent donc plus que tout autre type d’information à fragmenter la société en bulles aux perceptions si différentes de la réalité qu’elles en arrivent à confondre adversaires et ennemis.
Revenons donc au point de départ de la modération. C’est tout simplement impossible de la garantir avec le dispositif en vigueur sur X et bientôt sur Facebook. La couche technologique des notes de communauté n’est qu’un simple voile pour cacher la misère d’une plateforme défaillante.